Rédigé par l’Association RADD
A qui appartiennent les terres ?
Comme un gibier que l’on rabat vers la ligne de chasseurs postés, les populations se sont retrouvées encerclées par les palmiers à huile industriels dont la première génération est en phase de renouvellement. Nous sommes à Mbondjo, un matin du mois d’août 2019. Nous sommes arrivés sous un ciel pluvieux par une route serpentée, bordée de part et d’autres de palmiers à huile. On dirait un village créé de toutes pièces pour l’exploitation agricole ; que non ! Ici vivent des populations autochtones, mélangées aux ouvriers et ouvrières de la plantation industrielle de palmier à huile créée en 1975 sur ces terres ayant appartenu à leurs aïeuls. La législation foncière camerounaise ne leur reconnaît aucun droit sur ces terres. Selon celle-ci, ces terres appartiennent au domaine national. En effet, dans les dispositions générales de l’Ordonnance n° 74-1 du 6 juillet 1974 Fixant le régime foncier au Cameroun, l’Etat se déclare « le gardien de toutes les terres ». Il s’en arroge d’office la propriété dans la suite du texte ci-dessus en son Art.14 en ces termes : « Constituent de plein droit le domaine national, les terres qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance, ne sont classées dans le domaine public ou privé de l’Etat ou des autres personnes morales de droit public.
Ne sont pas incluses dans le domaine national les terres faisant l’objet d’un droit de propriété tel que définie à l’article 2 ci-dessus ». Ledit article ne reconnait le «droit de propriété privée » qu’aux «terres immatriculées », c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un titre foncier.
Le décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le Décret N° 2005/481 du 16 Décembre 2005 quant à lui fixe la qualité des personnes habilitées à solliciter l’obtention d’un titre foncier. Selon son article 9, « sont habilitées à solliciter l’obtention d’un titre foncier sur une dépendance du Domaine national qu’elles occupent ou exploitent : a) les collectivités coutumières, leurs membres ou toute autre personne de nationalité camerounaise, à condition que l’occupation ou l’exploitation soit antérieure au 5 août 1974, date de publication de l’ordonnance N° 74-1 du 6 juillet 1974, fixant le régime foncier… ». Plus loin, dans son article 11 découlant du Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005, alinéa (3), ce décret stipule que «les demandes (d’obtention du titre foncier) portant sur les terres libres de toute occupation ou de toute exploitation sont irrecevables… ».
En somme, les populations de Mbondjo, au regard de ce qui précède, ne pouvaient se prévaloir d’un quelconque droit sur ces terres que la Société Camerounaise des Palmeraies (SOCAPALM) a investies dès l’année 1975. C’est d’ailleurs à juste titre, c’est-à-dire en tant que propriétaire, que l’Etat a fondé cette occupation des terres de Mbondjo par la SOCAPALM ainsi que celle d’autres terres à d’autres endroits du territoire national.
Un marché de dupes
L’acte juridique qui matérialise cette attribution est le bail emphytéotique signé le 30 juin 2000. L’article 4 de ce bail traitant de l’origine des terres affirme sans ambages que «les terres présentement données en bail appartiennent à l’Etat du Cameroun…». Les terres de Mbondjo se sont donc retrouvées mélangées à d’autres terres pour constituer le total des terres louées à la SOCAPALM ; de façon plus précise, l’article 1er portant objet de ce bail, dans son alinéa 1 indique que « le bailleur (l’Etat) donne par la présente à bail emphytéotique au Preneur (la SOCAPALM) qui accepte pour la réalisation de son objet social, les terres rurales de contenance totale de soixante-dix-huit mille cinq cent vingt-neuf (78 529) hectares pour une durée de soixante (60) années entières, consécutives et renouvelables ». Cette superficie a été ramenée à cinquante-huit mille soixante-trois (58 063 hectares) par un avenant au bail signé le 30 août 2005, avec à la clé, vingt mille quatre cent soixante-six (20 466) hectares de terrain sortis du bail dont une partie à être rétrocédée aux collectivités décentralisées des zones d’exploitation de la SOCAPALM « pour les besoins d’urbanisation ».
Dans ce décompte, les terres de Mbondjo incluses dans ce contrat de bail étaient arrêtées dans le contrat initial à 1190 hectares. L’avenant prévoit pour Mbondjo une rétrocession de 165 hectares, ce qui fixe la superficie actuelle des terres exploitées par la SOCAPALM dans cette localité à 1025 hectares.
Dans sa formulation d’origine, le bail emphytéotique ci-dessus, en son article 9 définissait le montant de la redevance à payer annuellement par la SOCAPALM en ces termes : « le présent bail est conclu pour une redevance annuelle d’un montant de trois cent quatre-vingt-douze millions six cent quarante-cinq mille (392 645 000) FCFA que le Preneur s’oblige à payer au Bailleur chaque année budgétaire et d’avance… ». Suite à l’avenant susmentionnée qui a diminué la superficie attribuée, cette redevance s’élève à ce jour à deux cent quatre-vingt-dix millions trois cent quinze mille (290 315 000) FCFA.
L’article 6 de ce contrat de bail fixe des obligations à la SOCAPALM, tandis que l’article 7 lui confère des droits. Parmi les obligations, on peut citer entre autres :
- l’utilisation des terres « en bon père de famille » (al b) ;
- «veiller lors des extensions des plantations à prendre en considération les exigences de la protection de l’environnement… » ;
- « à ne pas replanter sur les parcelles d’une superficie de 250 hectares situées autour des communautés villageoises sans qu’au préalable l’Administration ait distrait toute partie pressentie comme espace vital. La superficie exacte de chacune de ces parcelles concernées sera déterminée par l’Administration et le Preneur. L’administration désignera dans chaque cas la communauté villageoise bénéficiaire ».
Parmi les droits dont jouit la SOCAPALM, on peut citer entre autres :
- « la libre et paisible jouissance des terres données à bail… » ;
- « l’hypothèque et la sous-location » :
- la coupe et l’exploitation du bois « pour ses propres besoins » ;
- « le droit de disposer de l’eau se trouvant sur les terres objet du présent bail… »
- « le droit de contrôler « l’entrée » et de limiter l’accès des personnes, véhicules et engins sur les terres pendant toute la journée du bail… »
A la lecture de ce contrat de bail de 15 articles étendus sur 10 pages dactylographiées, on observe qu’une seule allusion est faite aux communautés villageoises riveraines notamment à l’article 6 alinéa (h) qui fait obligation au Preneur de « ne pas replanter sur les parcelles d’une superficie de 250 hectares situées autour des communautés villageoises sans qu’au préalable l’Administration ait distrait toute partie pressentie comme espace vital ».
Il en est de même de son avenant dont la seule allusion aux communautés villageoises riveraines est faite dans le paragraphe C de ses « Attendu que ».
Il ressort de l’exposé qui précède que :
- Se fondant sur la législation foncière camerounaise, les populations de Mbondjo ne sont pas juridiquement propriétaires des terres laissées par leur ancêtres ;
- Que l’Etat qui en est propriétaire en a disposé selon son bon gré, au mépris littéral des intérêts de ces communautés ;
- Que la SOCAPALM est soumise à des obligations dont aucune ne fait allusion directe aux communautés villageoises riveraines, la seule que l’on puisse lier indirectement à ces communautés relevant de la protection de l’environnement ;
- Qu’à contrario, les droits offerts à la SOCAPALM ont une incidence directe négative sur ces communautés notamment le droit de disposer de l’eau se trouvant sur les terres objet du bail et le droit de contrôler « l’entrée » et de limiter l’accès des personnes, véhicules et engins sur les terres pendant toute la journée du bail.
- Que la SOCAPALM paye une redevance annuelle de 5 000 FCFA par hectare loué ; sur cette base, les 1025 hectares des terres de Mbondjo rapportent 5 125 000 FCFA à l’Etat camerounais. Une broutille.
En effet et pour si peu, d’énormes misères sont infligées aux communautés riveraines des plantations de monoculture au Cameroun par les entreprises capitalistes qui les exploitent. Une enquête menée par le Réseau des Acteurs du Développement Durable (RADD) auprès de 144 riverains dont 113 femmes et 31 hommes a révélé que les populations riveraines des exploitations agricoles de monoculture au Cameroun font face à une multitude de problèmes nés de l’installation de ces plantations. Dans le résumé exécutif du rapport de cette enquête, on peut lire ce qui suit :
«Les principaux résultats (de l’enquête) révèlent les enseignements ci-après : i) Premièrement, les riveraines des plantations industrielles de monoculture vivent essentiellement de l’agriculture, soit 80% de l’échantillon. Deuxièmement, les riveraines des plantations industrielles de monoculture sont pauvres. Ainsi, 54% sont chefs de famille monoparentale. ii) En outre, 82% des familles de l’échantillon sont composés d’au moins cinq (05) personnes. Le revenu mensuel est inférieur à 35.000 FCFA pour 62% des femmes interrogées. Au final, le revenu moyen par tête dans ces familles est de 233 FCFA par jour, soit moins de 0,5 US$ par jour, alors que le standard selon les Nations-Unis pour les couches les plus pauvres est de 1,9 US$ par jour. iii) Troisièmement plusieurs abus environnementaux et sociaux expliquent cette pauvreté extrême. »
Le rapport énumère ces abus :
- l’accaparement des terres,
- la destruction des forêts et la disparition des essences,
- l’interdiction de cueillir et de consommer les produits de sa propre plantation,
- les violences sexuelles,
- la création des plantations sous des installations de transport électrique de haute tension,
- l’interdiction faite aux riverains d’accéder aux infrastructures et services sociaux des entreprises de monoculture (centre de santé, écoles…),
- la dangerosité des tranchées creusées par les sociétés de monoculture pour empêcher les entrées des riverains dans leurs exploitations.
Cette enquête a même permis de relever des cas pertinents d’infractions perpétrées par les entreprises de monoculture pouvant faire l’objet d’un suivi judiciaire. De nombreux cas sont répertoriés et classés selon la nature de l’infraction en procédure civile, procédure pénale et procédure sociale. L’étude note les cas suivants :
- atteintes à la tranquillité et l’intimité des personnes,
- abus d’autorité et de fonction,
- atteintes à la sécurité publique,
- atteintes à la santé publique,
- offenses sexuelles,
- retentions abusives de biens,
- atteintes aux biens,
- atteintes à la paix et à la liberté des personnes,
- violences et voies de faits volontaires,
- atteintes à l’environnement,
- atteintes à l’intégrité physique des personnes.
Ces infractions s’étendent aussi sur le plan social selon la même étude. On peut y lire que « sur le plan social, les infractions portent sur les atteintes au droit du travail et de la sécurité sociale… Ce sont notamment les violations des règles en matière de travail et de sécurité sociale manifestées par : l’absence de contrat de travail ou d’embauche signé, le non renouvellement desdits contrats, les contrats d’essai signés à durée prolongée dépassant les seuils prévus par la loi du travail, la non immatriculation et de la non affiliation des employés à la sécurité sociale, la non déclaration du travailleur à la date d’embauche, des salaires dérisoires non conformes à la grille catégorielle salariale, ni en respect du travail fourni et des heures de travail, des salaires largement inférieurs au SMIG, des affectations catégorielles, professionnelles non conformes à la loi du travail, des conditions de travail alarmantes, primitives et précaires, le non reversement des cotisations sociales, des licenciements abusifs, des frustrations et intimidations, la non prise en compte de l’ancienneté (avec manque d’impact sur le salaire), le non octroie des congés (maternité, annuel), l’affiliation à la sécurité sociale sans reversement des cotisations sociales, le non-paiement des primes et indemnités de travail (logement, rendement, heures supplémentaires, etc.), la non prise en charge en cas de maladie ou de risque professionnel, le non-paiement des droits et avoirs successoraux des conjoints survivants (veuves) et ayants droit, le non-paiement des droits à la retraite (pension vieillesse), le chantage et les violences sexuelles, la non existence d’un réel service médical et hospitalier, le non-paiement des allocations familiales, le non alignement des descendants et progéniture des employés au rang des fichiers de la sécurité sociale. »
Ceci ressemble fort bien à un enfer sur terre. Pourtant, face à ce lot de misères subies par les populations riveraines, les entreprises de monocultures qui exploitent les terres léguées par leurs ancêtres font des bénéfices qui donnent le tournis.
« Socfinaf S.A. est une société luxembourgeoise, dont le siège social est 4 avenue Guillaume, L-1650 Luxembourg. Elle a été constituée le 22 octobre 1961 et est cotée à la Bourse de Luxembourg. L’activité principale de Socfinaf S.A. consiste en la gestion d’un portefeuille de participations essentiellement axées sur l’exploitation de plus de 139.000 hectares de plantations tropicales de palmiers à huile et d’hévéas situées en Afrique.».
C’est en ces termes que le conglomérat propriétaire de la SOCAPALM se présente sur la page 4 de son rapport annuel 2018. Dans la présentation de son historique faite sur la même page, le groupe rappelle les dates suivantes de son développement en ce qui concerne l’exploitation du palmier à huile et de l’hévéa au Cameroun.
- « 31/03/2000 : Acquisition de 89,64% de Société des Palmeraies de la Ferme Suisse « SPFS », une société camerounaise active dans le secteur de la production, la transformation et le raffinage de l’huile de palme.
- 31/12/2000 : Via une holding camerounaise Palmcam, Intercultures poursuit ses investissements au Cameroun dans Socapalm, une société active dans la production et la transformation d’huile de palme. »
Sur la page 15 du même rapport, on peut relever les données pertinentes suivantes sur la SOCAPALM : La SOCAPALM est une Société Anonyme ayant un capital : CFA 45.757.890.000. Elle est active au Cameroun dans le secteur de la production et la transformation d’huile de palme et la culture d’hévéas. Au 31/12/2018, elle présente une surface plantée globale de 34.691 hectares de terres sur les 58.063 concédés par l’Etat camerounais. Le palmier à huile est planté sur 32.624 hectares tandis que l’hévéa occupe 2.820 hectares. En 2018, la SOCAPALM a réalisé une production de 135.641 tonnes de palmier à huile contre 118.840 tonnes en 2017 ; les mêmes données pour l’hévéa se situent à 2.082 tonnes en 2018 contre 869 en 2017.
Sur le palmier à huile et l’hévéa, la SOCAPALM a fait un chiffre d’affaires de 100.594.000 EUR en 2018, soit FCFA 65 985 338 458 contre 88.884.000 EUR en 2017, soit FCFA 58 304 081 988 au cours de 1 EUR = 655,957 FCFA.
Le rapport signale que la SOCAPALM a réalisé un résultat positif de 17.370.000 EUR en 2018, soit FCFA 11 393 973 090, contre 15.707.000 EUR en 2017, soit FCFA 10 303 116 599 au cours de 1 EUR = 655,957 FCFA.
Pour l’Etat camerounais, la redevance perçue d’avance comme droit de bail pour l’année 2018 s’est élevée à FCFA 290 315 000 ; comparée au résultat d’exploitation déclaré par la SOCAPALM pour la même période soit FCFA 11 393 973 090, le différentiel est de FCFA 11 103 658 090. Même si on peut alléguer des avantages économiques et sociaux pour un Etat du fait de l’implantation d’une entreprise de grande envergure, notamment la réalisation des investissements structurels, l’emploi du personnel national à qui un salaire est payé, l’acquittement des impôts et taxes dus…, ces chiffres nous mettent en face de ce qui pourrait simplement être assimilé à un marché de dupes.
Absence de redistribution
A l ‘échelle de Mbondjo, la proportion des terres prises aux communautés locales (1025 hectares) sur le total de la superficie concédée à la SOCAPALM par l’Etat camerounais (58 063) est de 1,77% ; une déduction proportionnelle simplifiée (sans prise en compte des surfaces effectivement plantées) nous amènerait à estimer que les terres de Mbondjo contribuent à 1,77% au résultat de la SOCAPALM, soit FCFA 201 140 527 en 2018 et FCFA 181 883 377 en 2017.
Cependant, les signes de redistribution d’une somme aussi importante sont quasi inexistants à Mbondjo. En effet, depuis que nous sommes arrivés ici ce matin, nous percevons les signaux d’une atmosphère lourde. L’œil le moins averti verra de prime abord le confinement des populations sur un espace vital réduit. Les palmiers à huile sont à moins de 50 mètres derrière les cases. Nous visitons même un cas de maisons où cette distance est de moins de 5 mètres.
Les terres cultivables sont insuffisantes pour la population qui y vit. La décision de rétrocéder 165 hectares de terres aux communautés villageoises contenue en filigrane dans l’avenant au contrat de bail signé en 2005 n’a jamais été appliquée. Voici quatorze ans que l’attente dure. Bon nombre de riverains qui avaient fondé leurs espoirs sur cette décision sont certainement en repos éternel à deux mètres sous nos pieds. Ceux qui sont restés et qui continuent à espérer brassent la misère. Celle-ci est perceptible à l’œil nu. Sur la piste faufilant entre les habitations qui mène au petit centre commercial de Mbondjo, on peut observer la précarité des maisons des populations locales. Les habitations de fonction construites par la SOCAPALM au profit des ouvriers n’en sont pas mieux loties : elles présentent le spectacle des maisons en bois à un stade de dégradation avancé.
Au petit centre commercial, les traits caractéristiques de la pauvreté sont présents : échoppes construites en matériaux de fortune et de façon désordonnée, ameublement dérisoire, sol jonché de détritus de tous genres. Les activités qui y sont menées témoignent aussi de la catégorie de population dont on a à faire : bruits assourdissants émis par les appareils de sonorisation divers auxquels se mêlent les paroles et cris véhéments des consommateurs de bières et autres boissons alcoolisées locales assis dans un confort précaire par ci par là. Certains se font servir des repas pingres dans un environnement à l’état hygiénique douteux. Vendeurs et consommateurs palabrent, se taquinent, s’amusent parfois, rient même aux éclats, une attitude qui contraste avec les conditions de misère dans lesquelles ils vivent. Ils ont fini par s’accommoder.
Cependant, récriminations et revendications ne manquent pas. A l’entrée du village, Mr Ebongue est assis sur sa véranda. Il observe les passants et a constaté la présence d’un intrus dans le village. Il finit par m’interpeller lors d’une de mes allées et venues. Il se présente comme originaire de Mbondjo ayant passé sa carrière professionnelle hors du village et aujourd’hui à la retraite. Il m’entraine derrière sa case pour me montrer l’unité de production de l’huile de palme qu’il a mise en place pour avoir une retraite sans problèmes et qui a été détruite parce qu’il était accusé de voler les noix de la SOCAPALM. D’autres abus de ce genre sont signalés ci et là.
Élargir la cible
L’autre fait observable est celui-ci : depuis que nous sommes arrivés, l’énergie électrique n’est pas disponible. Cette situation date de quelques jours. Les habitants racontent que les installations de transformation de l’énergie qui ont été installées l’avaient été pour couvrir les besoins de la population. Aujourd’hui, la société d’exploitation du palmier à huile utilise les mêmes installations, ce qui cause une surcharge et occasionne des coupures d’électricité. L’énergie reviendra pendant que nous y sommes et Mr Elong Emmanuel, Président de la Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (SYNAPARCAM) nous expliquera que c’est grâce à ses actions de protestation que la société en charge de la fourniture de l’énergie électrique a fait diligence pour que le courant soit établi.
En effet, la SYNAPARCAM œuvre depuis longtemps pour la défense des intérêts des riverains des plantations de monoculture au Cameroun et son président actif est originaire de Mbondjo. Déclarée le 27 Mai 2014 à Éséka au N° 038RDA/JO8/SAAJP avec pour siège social Éséka, cette association s’est donnée pour objectifs :
« – Assister et accompagner les communautés dans la gestion et la résolution durable des conflits qui les opposent aux firmes multinationales installées au Cameroun,
– Proposer des solutions alternatives innovantes pour une coexistence harmonieuse entre les communautés riveraines et les multinationales installées au Cameroun».
Elle est présente pour sa section « Hommes » dans toutes les 7 plantations de la SOCAPALM où ses représentants ont mis en place un système d’éveil permettant de constater et de dénoncer les abus subis par les populations riveraines des plantations de monoculture au Cameroun.
Avec l’appui du Réseau des Acteurs du Développement Durable (RADD), une association de droit camerounais déclarée sous le récépissé n° 000223/RDA/J06 du 02 mars 2009, la SYNAPARCAM a entrepris de créer des sections « Femmes » aux cotés des hommes. En effet les femmes sont les premières victimes des accaparements de terres. Etant « au front » du combat quotidien d’alimentation de la famille en nourriture, les femmes sont en effet plus touchées par le manque de terres culturales. De plus, elles sont plus vulnérables aux abus que l’installation des entreprises de monoculture entraine auprès des populations riveraines. Les sections « Femmes » de la SYNAPARCAM vont donc aider à défendre les intérêts spécifiques aux femmes riveraines. Il est donc prévu l’installation de la section « Femmes » SYNAPARCAM de Mbondjo ce jour et c’est ce qui nous a amené ici.
L’exemple de la SYNAPARCAM montre que les communautés villageoises s’organisent pour mener le combat pour la défense de leurs intérêts. Mais la question qui se pose est de savoir qui est ce que ce combat devrait cibler ?
Les associations de riverains ainsi que les ONG nationales et internationales qui les accompagnent ont tendance à ne cibler que les entreprises de monoculture. En effet, il apparait de toute évidence que ces dernières sont responsables des misères subies par les populations riveraines. Elles sont le plus souvent habitées par un esprit capitaliste pur qui les conduit à privilégier les options économiques au détriment des valeurs sociales dont les riverains pourraient tirer profit. Elles sont de ce fait guidées par la recherche effrénée du profit qui les rend sourds face aux cris désespérés des populations riveraines. Elles n’hésitent même pas à utiliser des subterfuges et des moyens peu orthodoxes pour atteindre leur but. Ainsi déploient-elles une panoplie de stratégies pour sécuriser la ressource essentielle au développement de leurs activités qu’est la terre.
Selon un document publié par GRAIN et une alliance d’organisations communautaires et locales unies contre les plantations industrielles de palmiers à huile en Afrique occidentale et centrale au nom du Mouvement mondial pour les forêts tropicales, les entreprises capitalistes de monoculture utilisent 12 tactiques pour s’emparer des terre communautaires. Ces 12 tactiques sont énoncées comme suit :
- Tactique 1 : Obtenir l’accord et le soutien de responsables gouvernementaux de haut niveau ;
- Tactique 2 : Obtenir le soutien des élites locales et de personnes de confiance de la communauté ;
- Tactique 3 : Obtenir le ralliement des chefs ou les soumettre à des pressions pour que des terres communautaires soient mises à disposition des plantations de la société ;
- Tactique 4 : Promettre des emplois, une amélioration des routes, des écoles, des établissements de santé ;
- Tactique 5 : Organiser des réunions communautaires pour donner l’apparence d’un consentement de la communauté ;
- Tactique 6 : Réduire au silence les opposants locaux au projet de plantation ;
- Tactique 7 : Exclure et marginaliser les femmes ;
- Tactique 8 : Fausses signatures, falsification de documents et refus de fourniture de documents aux villageois ;
- Tactique 9 : Utiliser des titres fonciers et des relevés cadastraux frauduleux pour prendre le contrôle de terres communautaires ;
- Tactique 10 : Promettre une amélioration de la sécurité alimentaire mais créer l’insécurité alimentaire ;
- Tactique 11 : Promouvoir l’agriculture contractuelle avec les petits exploitants en les présentant comme une opportunité de « devenir riche avec des plantations de palmiers à huile industriels » ;
- Tactique 12 : Utiliser un partenariat avec des ONG de conservation et des labels « Huile de palme durable » pour se créer une image « verte ».
Les populations riveraines ne broient que du noir face à tant de génie dont font preuve les sociétés de monoculture, Et c’est à juste titre qu’elles les désignent comme la cible de leurs actions de revendications. Mais devraient-elles limiter leurs actions à cette cible ?
L’énoncé fait ci-dessus des tactiques utilisées par les entreprises de monoculture pour sécuriser les terres place à juste titre l’obtention de l’accord et le soutien de responsables gouvernementaux de haut niveau comme objectif premier ; l’obtention du soutien des élites locales et de personnes de confiance de la communauté vient en deuxième lieu ; l’obtention du ralliement des chefs ou leur soumission aux pressions pour que des terres communautaires soient mises à disposition des plantations de la société vient en troisième position. Ce trio constitué du gouvernement, de l’élite et des autorités traditionnelles locales est ce qu’on pourrait appeler « le verre dans le fruit ». Il mérite, tout autant que les entreprises de monoculture, d’être ciblé dans la lutte menée par les riverains et les ONG qui les accompagnent pour la défense des droits des communautés locales.
Revenons à la concession de 78 529 hectares de terres finalement ramenés à 58063 hectare signée par l’Etat camerounais au profit de la SOCAPALM. Nous avons démontré plus haut que l’Etat camerounais, exerçant le droit de propriété que lui confère la législation nationale sur ces terres habitées par ceux qui sont devenues aujourd’hui des riverains, les a concédées sans aucune considération des intérêts de ces derniers. Un proverbe Beti dit : « Si tu te retrouves au sol, ne regarde pas là où tu es tombé, mais plutôt là où tu as trébuché ». C’est lors de la signature des accords de concession des terres que les considérations relatives aux conditions de vie futures des riverains doivent être prises en considération. Les cahiers des charges qui accompagnent ces contrats devraient être plus favorables aux intérêts nationaux comprenant évidemment celles des riverains, au regard des avantages colossaux que les sociétés de monoculture tirent de l’exploitation des terres concédées (cf. les bénéfices déclarées pour la SOCAPALM en 2017 et 2018 en guise d’exemple). L’effectivité des réalisations contenues dans ces accords et cahiers des charges au profit des communautés locales devrait être la condition sine qua non pour une jouissance continue des terres. L’Etat devrait, non seulement veiller à cela mais aussi tenir les engagements qui sont les tiens. Tout ce qui précède justifie que de plus en plus, les combattants pour la défense des droits des riverains des entreprises de monoculture prévoient et mettent en œuvre des actions visant à sensibiliser « les responsables gouvernementaux de haut niveau » sur les conséquences de leurs décisions sur les riverains.
Quant aux deux autres composantes du trio « le verre dans le fruit » que sont l’élite et les autorités traditionnelles locales, une opposition ferme faite de dénonciations et d’actions de protestations énergiques doit leur être manifestée en tout temps. Nous sommes ici face à des individus sans foi ni loi, qui vendent leur dignité pour des brisures de riz et causent un préjudice incalculable à la communauté des riverains toute entière. Une lutte contre eux à l’intérieur desdites communautés doit s’organiser et être menée sans relâche, quitte à ce que soit remise en cause l’autorité de cette élite et des chefs que leur confèrent respectivement leur rang social et la tradition, tant il est vrai qu’un être corrompu ne mérite plus respect. Cette lutte devrait être pour les combattants la plus facile à mener, parce que « l’ennemi » est connu, il est accessible d’une façon ou d’une autre ; il est même vulnérable. Il ne faut cependant pas minimiser le pouvoir de l’argent déployé par l’entreprise de monoculture, car sa survie en dépend.
La cible du combat pour la défense des droits des riverains des plantations de monoculture qui a tendance à se focaliser uniquement sur les entreprises de monoculture doit s’étendre à l’Etat qui est « la cause du brandissement de l’épée », aux élites et aux autorités traditionnelles qui, sous le pouvoir de l’argent privilégient les intérêts personnels au détriment des intérêts collectifs. En somme, il est impératif d’élargir la cible pour plus d’efficacité dans la lutte pour la défense des intérêts des populations riveraines des entreprises de monoculture.
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